Le mois de juin de cette année verra une période de transition de trois ans s’ouvrir pour régulariser les années d’études réalisées et les comptabiliser lors du calcul des droits à la pension. Ce régime, jadis réservé aux salariés pendant les 10 premières années de leur activité, aux indépendants et aux fonctionnaires, sera désormais entièrement harmonisé et temporairement étendu à tous les actifs quelque soit leur niveau d’ancienneté.
Une pension légale extrêmement maigre
Nous nous étions intéressés dans une précédente contribution au calcul des droits à la pension pour attirer l’attention des lecteurs sur la nécessité de se ménager un complément à la retraite légale qui est extrêmement faible puisqu’elle dépasse rarement 1.500 EUR par mois.
Cette réalité est plus problématique pour celles et ceux qui ont accompli de longues études qui ne sont pas prises en compte pour le calcul des droits à la pension. Le gouvernement aimerait désormais ouvrir la possibilité de racheter les droits à la pension pour les années passées sur les bancs de l’école. Cette possibilité sera ouverte à tous pendant une période de 3 ans démarrant à partir de mars 2017. A l’heure de la rédaction de ces lignes, le projet est toujours sur les bancs du Conseil d’Etat qui en examine la validité.
Le 24 février dernier, le Conseil des ministres a approuvé les trois projets et avant-projets de lois relatifs à la bonification des diplômes pour la pension dans les régimes fonctionnaires. En effet pour les années que ces derniers peuvent encore acheter, une réduction de 15% est prévue si l’achat intervient entre le 1er juin 2017 et le 31 mai 2019; le montant de la cotisation s’élèvera alors à 1.275 EUR par année. Cette nouvelle mesure fait couler beaucoup d’encre dans la fonction publique où la régularisation des années d’études était jusqu’à présent de droit et gratuite.
Un système déjà existant
Le rachat des droits à la pension n’a rien d’inédit puisque trois systèmes coexistent à l’heure actuelle :
- Les salariés peuvent racheter leurs années d’études pour 1.500 EUR pendant les 10 premières années de leur vie professionnelle.
- Les indépendants peuvent effectuer ce rachat tout au long de leur carriè
- Les fonctionnaires bénéficient de ce régime gratuitement et automatiquement
Limites
Seules les années liées à un diplôme de l’enseignement supérieur sont visées par le projet de loi sans que les années de redoublement ne puissent être prises en compte. Les règles actuelles ne permettent de racheter que les années d’études accomplies après avoir atteint l’âge de 20 ans. On ignore encore si le projet de loi du gouvernement sera différent.
Le rachat des années d’études permet d’augmenter le montant de la pension légale de retraite, mais ne permet pas d’augmenter la durée de la carrière. Cette opération ne permettra donc pas d’obtenir une retraite anticipée par exemple.
Déductibilité du montant payé
Les montants versés pour régulariser les droits à la pension seront déductibles fiscalement. Le coût de la régularisation d’une année d’étude sera donc relativement faible puisque pour celles et ceux qui sont taxés au taux marginal de 50% à l’impôt des personnes physiques, la régularisation de leurs études ne leur coûtera que 750 EUR par année.
Augmentation de la pension
La pension est ainsi augmentée de 266,66 EUR par an pour un isolé et de 333,33 EUR pour un ménage. Vu la déductibilité du montant payé, la régularisation des années d’étude devrait donc être en principe amortie en 2 à 3 ans de pension.
Pièges
La presse s’est fait l’écho d’un piège lié à cette régularisation qui trouve son origine dans l’article 154 du Code des impôts sur les revenus.
Les pensionnés bénéficient de larges réductions d’impôts pour autant que leurs revenus bruts ne dépassent pas 15.518 EUR. Quand les revenus dépassent ce seuil ou qu’ils sont couplés avec des revenus immobiliers ou professionnels, l’avantage fiscal disparaît, ce qui entraîne une taxation de la totalité des revenus et donc une diminution du revenu net jusqu’à atteindre 16.450 EUR de revenus.
Certains cabinets d’audit ont mis en ligne un simulateur sur leur site internet qui permet de connaître l’impact de cette disposition en l’état de la législation actuelle.
Mesure budgétaire sans vision à long terme ?
Cette mesure devrait générer 42 millions d’euros en 2017 d’après le gouvernement, mais elle ne peut à terme qu’obérer le budget des pensions parce que ces recettes ne suffiront pas pour combler le trou creusé par ces nouvelles dépenses.
Cette mesure vise dont probablement un objectif qui est essentiellement budgétaire bien que le gouvernement s’en défende en invoquant la nécessité de lutter contre la précarité des personnes âgées. Le système existe bel et bien depuis longtemps, mais il était peu utilisé et le gouvernement tente probablement de réaliser un coup de publicité en harmonisant les trois régimes. En réalité ce système pourrait à terme permettre à l’Etat de payer des pensions moindres aux fonctionnaires qui devront désormais racheter leurs années d’études.
Cette mesure ne touche pas les retraités actuels et ne sera probablement pas exploitée par les travailleurs susceptibles d’être précarisés lors de leur retraire, c’est-à-dire ceux dont le niveau d’étude est plus faible et qui ne peuvent donc naturellement pas bénéficier de cette mesure.
Cette mesure ouvre la voie à une large discussion sur la solidarité entre les générations, notamment parce qu’elle prend une nouvelle fois la forme de ce que certains qualifient d’un « hold-up intergénérationnel » : les différents gouvernements européens et mondiaux ont pris la mauvaise habitude d’adopter des mesures qui ont des répercussions budgétaires bénéfiques à court terme, mais de lourdes conséquences à long terme.
Les gouvernements usent largement de la technique du « sale and lease back » qui consiste à vendre les bâtiments publics à des sociétés privées pour les reprendre ensuite en location. Notre gouvernement a instauré une augmentation de la pension légale de 65 à 67 ans. Cette réforme s’imposera aux jeunes, mais pas à ceux qui ont aujourd’hui 50 ans puisque cette mesure ne sera applicable qu’à partir de 2025. Les exemples de ces pratiques sont nombreux.
Ici encore le gouvernement solde la régularisation de ces années d’études alors que leur coût réel est nettement plus élevé et qu’il sera mis à charge de la prochaine génération. Ces décisions sont lourdes de conséquences, dont il n’est pas certain que la prochaine génération pourra assumer la charge.
Conclusion
Le rachat des droits à la pension pour les années d’études est évidemment une belle opportunité puisqu’il permet d’augmenter la pension qui sera versée au jour de la retraite. Pour un médecin, un rapide calcul permet d’estimer que cette régularisation pourrait entraîner une majoration de la retraite de l’ordre de 150 EUR par mois.
Le piège dont la presse fait l’écho est en réalité un leurre pour les lecteurs de ces lignes à qui l’article 154 sera nécessairement applicable puisqu’ils auront pris les précautions nécessaires pour ne pas tomber dans la précarité et donc dépasser les 16.450 EUR annuels en tout état de cause.
Le bénéfice de cet avantage est évidemment conditionné par le maintien en l’état, du régime actuellement en vigueur, mais il est très probable qu’il soit encore modifié à de nombreuses reprises aux cours des prochaines années.
Le bénéfice de cette régularisation s’annonce donc d’autant plus incertain que la date de votre pension sera lointaine.
Jérôme HAVET, avocat aux Barreaux de Bruxelles et du Brabant-Wallon, j.havet@avocat.be
Photo : Jean-Michel Just
Le Ministre des pensions a réagi à notre article Ici. Une seconde lecture attentive de l’article permet de répondre à nombre de ses préoccupations.
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