Revenus immobiliers ou revenus professionnels : gare au fisc

revenus immobiliers, gare au fisc
Le fisc s’attaque aux multi-propriétaires de biens immobiliers

L’immobilier n’a jamais cessé d’attiser l’appétit des Belges. Les récentes déclarations de plusieurs PDG de banques appelant à réduire à zéro, les 0,11% du taux légal minimum sur les comptes d’épargne réglementés, poussent les épargnants à rechercher des formes alternatives pour leur épargne. Depuis déjà quelques années, les épargnants amateurs de rendements sans risque se sont donc massivement tournés vers l’immobilier qui présente une apparente attractivité fiscale. Le fisc s’intéresse néanmoins de plus en plus à eux et tente bien souvent de requalifier leurs revenus immobiliers locatifs en revenus professionnels.

Une première solution pour celui qui cherche à rentabiliser son épargne consiste en l’achat de biens immobiliers pour les donner en location.

La taxation des revenus immobiliers d’un bien bâti donné en location varie selon que le bien est occupé par un particulier ou par quelqu’un qui l’affecte à l’exercice d’une activité professionnelle.

Un bien donné en location à une personne physique qui ne l’affecte ni totalement, ni partiellement à l’exercice d’une activité professionnelle (et en fait une habitation) subit le même sort fiscal que les immeubles qui ne sont pas donnés en location : ils sont imposés sur la base du seul revenu cadastral indexé de l’immeuble majoré de 40% selon l’article 11 du Code des impôts sur les revenus.

Les biens affectés à une activité professionnelle sont taxés différemment, en l’occurrence sur la base des loyers bruts au taux ordinaire de l’impôt des personnes physiques réduit de 40% de frais forfaitaires.

La taxation est donc nettement moins avantageuse pour les biens professionnels que pour les habitations privées puisque le revenu cadastral est presque toujours inférieur au revenu locatif d’un immeuble loué à des fins professionnelles, ce qui expliquera bien souvent que ce type de bien bénéficie d’un rendement locatif brut plus élevé. L’investisseur ne s’arrêtera donc pas au rendement locatif brut du bien qu’il compte acheter, mais procèdera à une analyse plus complète de la fiscalité de son investissement.

Ces cas simples de location sont donc assez facilement qualifiables en droit fiscal. Les loyers généralement plus faibles des habitations sont taxés à un tarif favorable alors que les loyers des commerces et autres établissements professionnels génèrent des revenus plus importants, mais subissent une fiscalité plus lourde.

L’investisseurs peut aussi rechercher un rendement encore plus élevé pour ses biens les acquérir en usant de techniques de financement plus ou moins complexes porteuses de diverses implications fiscales.

Mu par sa volonté de majoration du taux d’imposition des propriétaires, le fisc va commencer par s’intéresser à ceux qui possèdent plusieurs biens. Il s’applique avec plus ou moins de succès depuis quelques années de faire admettre que ces propriétaires exercent en fait une activité professionnelle à part entière.

L’appréciation de la frontière entre cette activité de gestion et la location de biens immobiliers en tant que simples particuliers nécessite une analyse détaillée pas toujours aisée de l’ensemble de l’opération au regard de plusieurs critères.

Le fisc va se baser sur la nature de l’opération et les différents éléments nécessaires à sa mise en place. Il analysera le niveau d’implication effective du propriétaire dans la gestion de la location de ses biens afin de pouvoir conclure sur cette base que l’activité de location dépasse le cadre fixé à l’article 11 du Code des impôts sur les revenus et relève donc de l’article 23 du même Code relatif aux revenus professionnels.

La loi ne définit malheureusement pas ce qu’il y a lieu d’entendre par ce qu’est une activité professionnelle, mais il est généralement admis qu’une activité lucrative devient professionnelle lorsqu’elle se caractérise par un ensemble d’opérations qui sont suffisamment fréquentes et liées entre elles pour constituer une occupation continuelle et habituelle qui sort du cadre de la gestion normale du patrimoine privé.

Plusieurs critères sont pris en compte pour apprécier cette qualification professionnelle :

  • le nombre d’opérations ;
  • le lien qu’elles présentent entre-elles ;
  • la nature des opérations ;
  • leu succession rapide ;
  • l’importance des opérations ;
  • l’organisation et le temps que les opérations impliquent ;
  • l’investissement réalisé par le contribuable ;
  • les moyens qu’il utilise ;
  • le recours à des fonds empruntés ;
  • la collaboration entre différentes personnes ;
  • l’étroitesse du lien entre l’activité professionnelle principale du contribuable et l’activité accessoire.

Dans un cas soumis à la Cour d’appel de Gand et tranché en octobre 2018, un particulier avait acquis en 2001 un bien immobilier de 40 appartements pour un montant d’un million d’euros qu’il avait financé au moyen d’un emprunt. Il avait ensuite confié la gestion de la location de ceux-ci à une société dont il était le gérant et l’actionnaire majoritaire qui percevait les loyers et supportait les frais des appartements (réparations, frais des communs du personnel, etc). La société lui versait le solde des loyers qu’il déclarait comme des revenus immobiliers. La Cour a considéré que c’est à juste titre que le fisc a imposé ces loyers comme des revenus professionnels.

La Cour a estimé devoir appliquer cette qualification professionnelle en arguant du financement intégral de l’opération au moyen de l’emprunt contracté par la personne physique qui en supportait le risque, de la nature professionnelle exercée par le propriétaire dans le secteur de l’immobilier, du fait que la personne physique était l’administrateur de la société et son quasi-exclusif actionnaire et divers autres arguments encore.

Cette jurisprudence doit également alerter les multi-propriétaires qui offrent également divers services à leurs locataires. L’exemple le plus flagrant est celui des chambres d’étudiants données en location par des personnes physiques qui assurent elles-mêmes certains services annexes, par exemple le nettoyage des communs ou des appartements qui sont loués meublés à la semaine moyennant la fourniture de services annexes (serviettes de bain, café, petit déjeuners, etc). Une telle implication du propriétaire dans ce type de location peut amener le fisc à  considérer que l’opération dépasse le cadre de la location et constitue une véritable activité qui est taxable comme un revenu professionnel et non plus comme des revenus immobiliers. Il en sera de même pour les activités telles que AirBnB qui sont souvent proposées dans le cadre de l’« économie de partage » par exemple et pour lesquelles le fisc peut considérer qu’il s’agit d’une activité professionnelle.

Le seuil à partir duquel le fisc peut considérer que le propriétaire dépasse la gestion normale de son patrimoine est difficile à évaluer et nécessite une évaluation au cas par cas. Dans ces cas, il est possible d’abandonner la gestion des biens à un tiers et permettre de limiter l’immixtion du propriétaire dans cette gestion. Cette solution présente certes un coût, mais permettra de faire échec à la requalification fiscale puisque le propriétaire n’assume plus aucune responsabilité dans la gestion de ses biens.

La fiscalité des revenus immobiliers est favorable en Belgique, elle permet par ailleurs de se constituer des revenus stables tout en profitant de l’évolution favorable depuis de nombreuses années des prix du marché de l’immobilier et de dégager à terme une plus-value qui n’est pas soumise à l’impôt.

Cette fiscalité n’est cependant pas figée et peut être requalifiée si l’opération qui a mené à la constitution de ce patrimoine est particulièrement complexe ou audacieuse ou si la mise en location de ce patrimoine implique une gestion très importante du propriétaire.

Le propriétaire de plusieurs biens immobiliers doit donc choisir entre un rendement modéré assorti d’une relative sécurité fiscale ou un rendement plus élevé, aggravant le risque de contrôle par l’administration fiscale ainsi que de requalification des revenus locatifs et, partant de leur taxation au tau de l’impôt des personnes physiques. Dans tous les cas, la certitude de garantir la sécurité juridique n’est jamais acquise. A noter que le personnel de l’administration a reçu des instructions et aura tendance à requalifier parfois un peu facilement les contribuables à son avantage. Dans cette hypothèse, il conviendra de se défendre vigoureusement.

Jérôme HAVET, j.havet@avocat.be

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par Anders Noren.

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