Le saut de génération, un moyen de planification patrimonial attractif ?

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L’allongement de l’espérance de vie a pour effet que nous héritons de plus en plus tard de nos parents, à une date où notre parcours de vie est déjà tracé et où nos enfants par contre ont souvent besoin d’un petit, si ce n’est pas d’un sérieux, coup de pouce. Le législateur régional compétent en a récemment pris conscience et décidé de mettre en place un mécanisme qui permet de réduire considérablement les droits de succession en cas de « saut de génération », c’est-à-dire si les biens de la génération qui nous précède sont directement légués à celle qui nous suit.

Les donations des grands-parents à leurs petits enfants sont assez peu répandues ; notamment parce que cette façon de déshériter ses héritiers directs, c’est-à-dire ses enfants, risque de donner naissance à des conflits interfamiliaux ou de créer des distorsions entre les branches de sa famille si chacun des petits enfants reçoit un montant identique alors que les familles dont ils font partie comptent un nombre inégal d’enfants.

Le saut de génération n’était pas impossible à organiser dans l’ancien régime, en ce sens qu’il accordait à un héritier le droit de renoncer purement et simplement à son héritage.

La mise en œuvre de ce droit soulevait toutefois plusieurs problèmes du fait de la renonciation a) prive l’héritier de tout son héritage dont il ne peut en effet rien conserver puisqu’elle ne peut pas être partielle et b) a des conséquences fiscales qui ne sont pas identiques à celles d’une succession en ligne directe au premier degré puisqu’en Région wallonne et à Bruxelles, les droits de succession payés par les héritiers au second degré sont identiques à ceux qu’auraient dû payer leurs parents, quel que soit leur nombre, alors qu’en Région flamande, chacun des héritiers paie des droits sur la valeur des biens qu’il recueille.

Un décret adopté le 6 mai 2019 et publié en septembre 2019 adapte le Code wallon des successions pour répondre à cette problématique et prévoit désormais aux articles 131 et 131bis, que l’héritier en ligne directe qui donne à ses enfants tout ou partie des biens mobiliers ou immobiliers dont il vient d’hériter, est en droit de soumettre cette opération à un taux de 0%.

Cette nouvelle réforme est soumise à plusieurs conditions :

  • le donateur doit avoir recueilli des biens dans le cadre d’une succession en ligne directe;
  • il doit transmettre les biens hérités à sa descendance au moyen d’une donation ;
  • il doit transcrire sa volonté dans un acte authentique (notarié) dans les 90 jours qui suivent le dépôt de la déclaration de succession d’où proviennent les biens donnés ;
  • les droits de succession doivent avoir été payés ;
  • la donation ne peut créer de démembrement de propriété, il est donc exclu pour le donateur de se réserver l’usufruit des biens donnés à ses enfants ou de créer d’autres types de démembrement (nue-propriété pour l’un des enfants et usufruit pour l’autre par exemple).

La Région flamande comme à son habitude précédé la Région wallonne et adopté en juillet 2018 un régime similaire de « donation rapide de biens hérités » à la fois plus large et plus strict. Les droits qui sont payés au nord du pays dépendent également d’une série de conditions :

  • la succession doit être ouverte postérieurement au 31 août 2018 ;
  • cette succession doit être localisée en Région flamande et est donc soumise à l’impôt des successions flamand, ce qui implique que la personne décédée doit avoir eu sa résidence en Région flamande de manière exclusive ou de manière prépondérante au cours des 5 dernières années avant son décès ;
  • l’impôt des successions doit avoir été payé ;
  • le donateur doit avoir acquis les biens en ligne directe ou de son partenaire ou conjoint ;
  • la donation doit être faite à un ou plusieurs descendants ;
  • la donation doit avoir lieu dans l’année du décès et par acte notarié.

Si les conditions énoncées ci-avant sont remplies, les droits de donation sur les biens cédés sont réduits à zéro. Cette exonération n’est cependant pas illimitée puisque l’exonération des droits sur la donation ne peut pas être supérieure au montant qui a été payé dans le cadre de la succession. Il peut en effet arriver que la valeur fluctue entre le moment où le donateur hérite du défunt et celui où il donne à ses descendants ou à son conjoint, ce qui est d’autant plus probable au nord du pays où le délai est d’un an.

Le régime flamand est donc à la fois plus souple et plus strict à certains égards, puisqu’il permet de gratifier non seulement sa descendance, mais aussi un conjoint dans un délai qui est plus généreux qu’au sud du pays.

Le régime flamand soulève cependant quelques difficultés d’interopérabilité régionale puisque seules les successions flamandes sont visées par la législation du nord du pays, alors que le législateur wallon ne s’est pas positionné sur la question de savoir si l’exonération pouvait également profiter aux successions intervenues en Région flamande ou à Bruxelles.

Il semble toutefois admis que le défunt et l’héritier doivent se trouver tous les deux dans la même région, alors que la personne gratifiée peut quant à elle, se trouver dans une autre région. Par exemple, une personne domiciliée à Liège qui hériterait d’un père domicilié à Bruxelles ne pourrait pas bénéficier de l’exonération et transmettre à ses enfants, alors qu’un petit fils domicilié à Ixelles pourrait bénéficier d’une donation exempte de droits si son père liégeois a hérité de biens qui appartenaient au grand-père décédé à Mons.

Le saut de génération peut être organisé à l’initiative des grands-parents de leur vivant, puisqu’ils jouissent désormais d’une plus grande liberté d’action grâce à la réforme fédérale récente du droit successoral et disposent d’une quotité disponible qui leur permet de léguer 50% de leur patrimoine sans que leurs enfants qui sont héritiers réservataires, ne puissent leur reprocher quoi que ce soit. Les modes d’organisation de cette transmission sont divers, puisque le patrimoine peut être légué soit par donation soit par la rédaction d’un testament ou d’un pacte successoral.

La nouvelle réforme permet désormais aussi aux héritiers d’engager cette opération et de modaliser la transmission, sans devoir renoncer intégralement à l’héritage de leurs parents.  Il est vrai que ce régime crée des situations délicates puisque l’interopérabilité entre les régions n’est pas encore optimale. La Cour constitutionnelle qui est la garante des principes d’égalité et de non-discrimination inscrits dans notre constitution, devra certainement se pencher sur ces questions dans les prochains mois, nous ne manquerons pas de vous en tenir informés.

Jérôme HAVET

j.havet@avocat.be

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par Anders Noren.

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