Carte blanche dans l’écho du 27 avril 2018

Le constat relaté dans la presse sur l’efficacité de la procédure en réorganisation judiciaire est cinglant : 70 à 80% des entreprises qui ont recours à cette procédure tombent en faillite. Cette procédure ne servirait donc à rien ? Qui en est responsable de ces trop fréquents échecs ? Faut-il incriminer l’entrepreneur qui introduit la procédure quand plus aucun espoir n’est permis, l’avocat qui voit dans un client désespéré une belle opportunité financière et lui masque une inévitable faillite, le créancier buté qui refuse toute proposition de paiement, le tribunal qui manque manifestement de moyens de suivi et ne peut encadrer ces procédures comme la loi le prévoit ou encore le coût élevé de cette procédure ? La réponse à ces questions est probablement multiple et résulte certainement de la combinaison de plusieurs de ces facteurs.
L’entrepreneur en difficulté qui consulte un avocat pense généralement que la procédure le sauvera sans effort de ses créanciers, souvent les mêmes institutionnels, régulièrement les plus lents à réagir.
La procédure en réorganisation judiciaire ne peut toutefois être efficace que si l’entrepreneur s’applique très sérieusement à identifier les causes ses difficultés financières et modifie souvent profondément son business model. Cette procédure demande une énergie considérable à celui qui la lance et veut la mener à bien.
Bien souvent ce travail introspectif prend du temps et l’avocat y joue un rôle déterminant puisqu’il doit convaincre son client qu’il devra probablement réaliser de profonds changements pour tenter de sauver sa société.
Ce travail de réorganisation est parfois mis à mal par certains tribunaux. Si certains sont compréhensifs lorsqu’il convient de déterminer la durée du sursis ou d’accorder un renouvellement (maximum 6 mois renouvelables), d’autres considèrent que cette période doit servir uniquement à la conclusion d’un plan de remboursement et accordent des délais très courts qui font réellement obstacle à la réorganisation de l’entreprise.
Evidemment la réticence de ces Tribunaux moins généreux s’explique par la crainte (parfois justifiée) que des entreprises peu scrupuleuses utilisent la procédure pour tirer une dernière fois sur la corde et se vider de leurs dernières ressources.
Un contrôle de l’évolution de l’entreprise est donc indispensable tout au long de la procédure. Ce contrôle est prévu puisqu’un juge est délégué par le Tribunal pour suivre l’entreprise pendant la procédure. Les Tribunaux ne sont malheureusement pas égaux et ne disposent souvent pas des ressources suffisantes pour contrôler les entreprises tout au long de la procédure et chaque juge délégué par le Tribunal applique sa propre méthode de contrôle, parfois rigoureuse, mais parfois aussi quelque peu marginale. Le tribunal peut aussi suggérer ou imposer la présence d’un mandataire de justice qui accompagnera la société tout au long de la procédure pour le conseiller, cependant, cette faculté n’est pas automatique et peut s’avérer coûteuse.
La conclusion de l’accord est aussi source de nombreux problèmes. En effet, les créanciers publics ont durci leur politique en matière de réorganisation judiciaire de manière drastique.
S’il était possible jusqu’il y a 5 ans d’obtenir des accords généreux de remboursement avec réduction du capital avec l’administration fiscale et l’ONSS, ce n’est malheureusement plus le cas aujourd’hui à tel point que dans certains secteurs (les titres-services par exemple), l’ONSS refuse tout plan de paiement et exige un remboursement immédiat et intégral à la fin du sursis.
L’Etat qui a instauré la procédure en réorganisation judiciaire par la loi de 2009 fait lui-même obstacle à sa bonne application par l’une de ses émanations avec le risque bien souvent de pertes importantes d’emplois et de perdre toute possibilité de remboursement puisque les faillites dans lesquelles on trouve des actifs sont devenues rares.
Enfin, il n’est pas rare de se trouver face à des situations désespérées. Les entrepreneurs qui consultent leurs avocats pour introduire la procédure en réorganisation judiciaire s’y prennent généralement très tard, lorsque les employés ne sont plus payés, lorsque les crédits ou les leasings sont dénoncés ou lorsque des saisies sont déjà en cours. Il nous semble donc indispensable d’insister sur le fait que la procédure n’est efficace que lorsqu’elle est introduite à temps, dès le début des difficultés. Si celles-ci s’aggravent, il ne sera que plus difficile, voire impossible, de sauver la société.
Enfin, s’il est indéniable que la procédure en réorganisation judicaire avorte fréquemment et qu’elle réclame une énergie considérable, elle constitue en revanche pour les 30% d’entrepreneurs qui prennent conscience de leurs difficultés et appliquent l’énergie nécessaire au sauvetage de leur entreprise, une belle lueur d’espoir dont il serait dommage de les priver.
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