Le fisc simplifie les règles fiscales de l’achat scindé

La donation sous réserve d'usufruit reste l'une des techniques de planification successorale la plus utilisée en Belgique
La donation sous réserve d’usufruit reste l’une des techniques de planification successorale la plus utilisée en Belgique

L’achat scindé est une pratique courante de planification successorale. Cette technique permet de diviser la propriété entre d’une part, l’usufruitier qui dispose du droit d’utiliser le bien et donc d’en recueillir les revenus et, d’autre part, le nu-propriétaire qui est assuré de recevoir le bien dans son intégralité lors du décès de l’usufruitier. Le recours à cette technique permet également de réduire les droits de succession à l’occasion de diverses donations ou d’achats scindés. Le fisc vient de simplifier quelque peu les règles fiscales applicables à ces opérations, nous vous en détaillons les modalités.

L’usufruit est traditionnellement utilisé pour deux types d’opérations : la donation sous réserve et l’achat scindé d’immeubles entre deux générations.

La première technique consiste à donner la nue-propriété d’immeubles déjà présents au sein du patrimoine à la génération suivante et de s’en réserver l’usufruit. Elle présente le double avantage de permettre au donateur de se réserver l’usage du bien jusqu’à son décès, de pouvoir y habiter ou d’en recueillir les loyers et de réduire les droits de succession des héritiers au moment du décès.

L’intérêt d’une telle donation s’explique sur le plan fiscal par la progressivité par tranche de l’impôt successoral et par la fameuse règle des 3 ans. L’impôt successoral est en effet « progressif par tranche » en ce sens qu’il augmente en fonction de l’importance du patrimoine qui est transmis, il est donc parfois utile, lorsque les patrimoines sont importants, de scinder leur transmission en plusieurs étapes.

Nous reproduisons ci-après à titre d’exemple les taux et droits applicables en Région wallonne pour chaque tranche, mais le lecteur attentif se reportera aux droits applicables dans sa région puisque les droits sont régionalisés.

DeATauxMontant à percevoir sur l’ensemble des tranches précédentes
0,0112.5003 % 
12.500,0125.0004 %375 EUR
25.000,0150.0005 %875 EUR
50.000,01100.0007 %2.125 EUR
100.000,01150.00010 %5.625 EUR
150.000,01200.00014 %10.625 EUR
200.000,01250.00018 %17.625 EUR
250.000,01500.00024 %26.625 EUR
Au-delà de 500.00030 %86.625 EUR

Pour bien comprendre l’intérêt de l’étalement des donations, prenons l’exemple du père d’un fils unique qui dispose d’un patrimoine de 1.000.000 EUR réparti en deux biens immobiliers de valeur identique. Quand le père décèdera, son héritier devra payer des droits sur cette valeur qui s’élèveront à 86.625 EUR (premières tranches jusque 500.000 EUR) + 150.000 EUR (sur la tranche de 500.000 EUR à 1.000.000 EUR), soit 236.625 EUR de droits de succession au total.

La donation préalable des immeubles en deux actes distincts permet de réduire les droits puisqu’ils seront calculés sur la valeur de chaque immeuble séparément. La donation du premier immeuble génèrera 86.625 EUR de droits à payer et la seconde, qui interviendra quelques années plus tard, impliquera l’obligation de payer des droits identiques pour un total de 173.250 EUR, soit 63.375 EUR d’économies par rapport à la situation précédente.

Cette technique ne peut néanmoins être utilisée que moyennant le respect d’un délai d’attente de 3 ans entre chaque opération, à défaut de quoi la valeur de l’immeuble donné lors de la première opération est prise en compte lors de la seconde opération, ce qui dans notre exemple revient à imposer toute l’opération en une seule fois.

En effet, l’article 7 du Code des successions dispose que « Les biens dont l’administration établit que le défunt a disposé à titre gratuit dans les trois années précédant son décès, sont considérés comme faisant partie de sa succession si la libéralité n’a pas été assujettie au droit d’enregistrement établi pour les donations, sauf le recours des héritiers ou légataires contre le donataire pour les droits de succession acquittés à raison desdits biens ».

La règle peut être contournée lorsqu’elle concerne des donations mobilières. En effet, celles-ci échappent à la règle des trois ans si un droit réduit est payé. Ce droit s’élève en Flandre et à Bruxelles à 3% en ligne directe et à 7% pour toute autre personne contre 3,3% et 5,5% en Wallonie.

La donation mobilière qui est soumise au droit réduit échappe à la règle des 3 ans et n’entre donc pas dans le calcul des droits de succession, même si le donateur décède quelques jours après l’enregistrement.

Une seconde technique successorale consiste à scinder l’achat entre le donateur qui acquiert l’usufruit et le bénéficiaire qui achète la nue-propriété.

Cette technique peut se concrétiser de deux manières classiques, dans un premier cas, le donateur paie de sa poche l’intégralité de la propriété scindée, c’est-à-dire la nue-propriété qui revient au gratifié et l’usufruit du bien qu’il se réserve, tandis que dans le second, le donateur verse un montant au bénéficiaire préalablement à l’acquisition scindée du bien immobilier. Ces deux procédés soulèvent des problèmes fiscaux et nécessitent des aménagements.

Le code des droits de succession permet en effet au fisc de considérer, dans le premier cas, que la donation scindée intervenue n’est valable que si nu-propriétaire démontre qu’il a payé sa part lui-même et dans le second, que la donation intervenue préalablement à l’achat du bien est un abus fiscal qui déguise une donation immobilière dont la taxation est inévitable et plus importante. Le fisc peut vérifier ces éléments jusqu’au jour du décès, de sorte qu’il est indispensable de conserver une documentation détaillée parfois pendant des décennies.

Il est donc entendu que si la première technique décrite ci-dessus doit être écartée (celle où le donateur paie tout l’immeuble), la seconde a souvent été préférée, d’autant plus que le fisc acceptait de renoncer à requalifier l’opération si la donation de cash était soumise aux droits réduits en matière de donation mobilière.

Les praticiens estimaient que l’exigence du paiement d’un droit de 3% à 7% pour échapper à la requalification ne répondait à aucune logique, ni exigence légale et préconisaient plutôt de laisser passer un délai d’attente de quelques mois entre la donation mobilière et l’achat scindé du bien, de manière à pouvoir démontrer que le bénéficiaire avait la libre disposition de l’argent qui lui avait été donné et qu’il ne s’agissait pas d’une manière de trahir l’esprit de la loi fiscale en la contournant.

Face à ces critiques, la Région Flamande et les deux autres Régions ensuite ont finalement décidé cet été d’abandonner cette position administrative contestable, de sorte que seule une preuve de la donation mobilière est désormais indispensable pour échapper à la règle des trois ans et à celle qui implique la preuve du paiement de sa part par le nu-propriétaire.

Il est entendu que la dispense désormais reconnue par le fisc ne libère pas les bénéficiaires de devoir payer des droits de succession si le donateur décède dans les 3 ans et qu’il demeure donc indiscutablement intéressant de procéder à l’enregistrement de la donation préalablement à l’acquisition scindée d’un immeuble, personne n’étant à l’abri d’un accident qui pourrait coûter cher à ses héritiers.

Jérôme HAVET, avocat spécialiste en droit fiscal j.havet@avocat.be

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par Anders Noren.

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